Culture et Religion

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Mohamed-Chérif Ferjani est professeur émérite de l’Université de Lyon 2, spécialiste en islamologie et sciences politiques. Parmi ses dernières publications : Al- ‘almana wa al- ‘almâniya fi al-fdahâ’ât al-‘islamiya (Dar al-tanwir, 2017), Démocratisation et religion Méditerranée (Riveneuve, 2015) et Le politique et le religieux dans le champ islamique (Fayard, 2005).

Ali Mérad, un universitaire assumant son islamité

 
 
Le Professeur Ali Mérad, né en 1930 à Lagouat en Algérie, s’est éteint parmi les siens dans sa ville d’adoption, Lyon, le 23 mai 2017.

Après un double cursus dans une école coranique et à l’école communale, il rejoint le Lycée Bugeaud à Alger où il eut, comme professeur d’arabe, Hamza Boubakeur et, comme camarade de classe, Ahmed Taleb Ibrahimi qui lui a fait rencontrer son père, Cheikh Mohamed Bechir Ibrahimi de l’Association des Oulémas d’Algérie.

A l’université, il créa avec Ahmed Taleb Ibrahimi, un périodique, Jeune musulman, dont il fut l’un des contributeurs réguliers comme rédacteur de deux rubriques qu’il signait avec deux pseudonymes: Abou Djamil Taha et Mohamed Arab. La première était consacrée aux croyances et à l’éthique islamiques; la seconde aux sujets de société et aux réformes nécessaires pour améliorer les réalités islamiques. Son voyage en Egypte en 1953 lui permit d’élargir sa connaissance de ces réalités et d’alimenter sa rubrique par des articles relatant ce qu’il a vu dans le foyer de la Nahda.

Dès les années 1950, il a participé au dialogue islamo-chrétien (voir l’article de Mohamed Sghir Janjar dans ce dossier). Ses premiers partenaires dans ce dialogue n’étaient autres que ses amis de toujours, Michel Lelong et Maurice Bormans qui a continué à lui rendre régulièrement visite jusqu’au bout et reste l’un des amis les plus présents auprès de sa famille.

En 1956, il fut admis premier à l’agrégation d’arabe, dans la même promotion que Jamel Eddine Ben Cheikh, Mohamed Arkoun, Nada Tomiche et Norbert Tapiéro.

Il enseigna ensuite au lycée avant de devenir assistant à l’Institut Supérieur d’Etudes Islamiques à l’Université d’Alger jusqu’à l’indépendance. Durant cette période, il s’est illustré par une réponse au général Pierre Rondot auquel il reprocha le manque d’objectivité dont il fit preuve dans son article «L’Islam et les musulmans aujourd’hui» (Revue Africaine, n° 104, 1960). Dès lors, tout en reconnaissant l’apport de l’orientalisme, son approche des faits islamiques s’est donnée une orientation où l’exigence scientifique allait de pair avec la volonté d’assumer son islamité.

A l’indépendance, malgré son refus de s’inscrire - comme Hamza Boubakeur et d’autres notables approchés par Michel Debré - dans le projet de séparer le Sahara de l’Algérie, on lui reprocha, ainsi qu’à Mohamed Arkoun et Jamel Eddine Bencheik, sa participation aux épreuves de l’agrégation en 1956 contre la consigne de l’Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA). On mit fin à son affectation à l’Université pour l’envoyer au collège de Bou-Saada. Il réagit en partant à Paris pour préparer une thèse sur Le réformisme musulman en Algérie sous la direction de Charles Pellat (thèse publiée chez Mouton en 1967 sous le titre Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse et sociale). Sa thèse d’Etat sera consacrée à Ibn Badis (publiée en 1971 chez Geuthner sous le titre Ibn Badis commentateur du Coran). Ses travaux sur le réformisme musulman en Algérie lui ont valu d’être choisi pour rédiger son article référence, à l’Encyclopédie de l’Islam, « Islâh » (voir  la contribution de Belkacem Benzenine à ce dossier).

Affecté à l’université Claude Bernard (ancêtre des universités Lyon2 et Lyon3), puis à la Sorbonne où il est resté jusqu’à son départ à la retraite, il contribua à la formation de plusieurs générations auxquelles il a enseigné la littérature et la civilisation arabes, ainsi que l’histoire de la pensée musulmane. Il a dirigé ou co-dirigé des dizaines de thèses (dont la mienne qu’il a co-dirigée et dont il a préfacé la publication sous le titre Islamisme, laïcité et droits de l’Homme, l’Harmattan, 1991). Ali Mérad était proche de ses étudiants et soucieux de mettre à leur disposition les moyens d’aborder les faits islamiques avec les connaisances élémentaires indispensables. C’est ce souci pédagogique qui inspira ses publications aux PUF, dans la collection « que sais-je ? » : L’islam contemporain (1984), L’exégèse coranique (1998) La tradition musulmane (2001), ainsi que Le califat (Desclée de Bouwer, 2008) en plus de ses nombreuses autres publications (voir bibliographie dans ce dossier).

Sa renommée d’universitaire, son rôle dans le dialogue islamo-chrétien et son engagement pour que l’islam puisse avoir sa place comme les autres religions en France ont été à l’origine de son implication dans les différentes initiatives concernant l’organisation du culte musulman et la formation de ses cadres. Ainsi, il fit partie de la Commission Nationale des Français Musulmans mise en place par Raymond Barre en 1977 où il s’est illustré par un rapport remettant en cause le rôle de la Mosquée de Paris et appelant à la séparation de l’activité strictement cultuelle de la Mosquée, de l’activité culturelle et scientifique de l’Institut Musulman pour lequel il a proposé un modèle d’organisation, de fonctionnement et de financement inspiré de celui de l’Institut Catholique de Paris. L’échec de ce projet l’amena à proposer, à la fin des années 1980, l’ouverture d’un établissement d’études supérieures de l’Islam ; mais le pouvoir préféra la proposition de Mohamed Arkoun d’ouvrir une Faculté de Théologie musulmane à Strasbourg avant de renoncer aux deux propositions. Appelé à donner son avis au moment de la première affaire de port du voile en 1989, il appela au dialogue avec les personnes concernées et refusa toute mesure d’exclusion. Consulté en 1990 lors de la mise en place du Conseil de Réflexion sur l’Islam en France (CORIF), il a attiré l’attention sur la montée de l’intégrisme. Au milieu des années 1990, il a refusé une proposition du pouvoir algérien de le nommer à la tête de la Mosquée de Paris. En 1997, il appela à la création de d’une « conférence musulmane de France » en proposant, pour la lancer, des noms de figures soucieuses de l’autonomie de par rapport à toutes les tuelles, pour signifier son refus d’une organisation de l’islam par le haut («  A quand une conférence musulmane de France », Le Monde, 17 février 1997). C’est avec cet esprit qu’il participa aux discussions initiées par J. P. Chevènement en 1998 pour créer une Ecole des Hautes Etudes sur l’islam avant de se retirer pour signifier son refus de mettre sous tutelle l’islam et les musulmans de France.

Jusqu’au bout, Ali Mérad est resté fidèle à une démarche associant approche scientifique, engagement pour un islam ouvert sur le dialogue interreligieux et refus de  toute tutelle et/ou instrumentalisation politiques d’une religion pour laquelle il demandait le même statut et les mêmes droits reconnus aux autres.  

>> Dossier : Ali Merad


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